Conférence du Général de corps d’armée Gomart
sur l’affirmation de la présence de la France dans différentes régions du monde
le jeudi 16 juin 2022 en visioconférence
PRÉAMBULE
Le général de corps d’armée Christophe Gomart, invité ce soir pour cette conférence, a déjà apporté à l’IHEDN son éclairage unique sur la géopolitique et l’affirmation de la présence de la France dans différentes régions du monde : quel rôle, quelle puissance ? Il a abordé, également, le problème de l’autorité et du respect du chef comme condition indispensable à la réussite des missions opérationnelles.
Frédéric Jallat, le présentateur chargé des conférences de l’IHEDN, professeur à l’École supérieure de Paris et à Sciences PO, nous propose ce temps suspendu autour d’une thématique très prégnante dans l’actualité : l’intrusion et la guerre de la Russie en Ukraine.
PRÉSENTATION SUCCINTE DU CONFÉRENCIER
Le général Christophe Gomart, saint-cyrien, fut chef de corps du 13è régiment de dragons parachutistes (RDP) (2003-2005), chef du bureau réservé au Cabinet du ministre de la Défense (2006-2008), adjoint du Coordonnateur national du renseignement à la présidence de la République (2008-2011), commandant des opérations spéciales (2011-2013), puis directeur du renseignement militaire (2013-2017). Depuis 2017, il travaille pour le groupe Unibail-Rodamco-Westfield et en est depuis 2019, directeur sûreté, gestion du risque et gestion de crise.
Il a écrit plusieurs ouvrages sur la géopolitique et la place de la France dans les différentes régions du monde. Sa carrière dans le renseignement et dans les Forces spéciales conduisit le général Christophe Gomart, issu de la guerre froide (à partir de 1991), à participer à des opérations extérieures au sein des guerres civiles (Tchad, Yougoslavie, Afghanistan, Sahel, Irak, Syrie, Lybie)
Le général Christophe Gomart commence sa conférence en parlant d’un fait d’actualité : la guerre de la Russie à l’Ukraine.
La guerre civile concerne généralement les citoyens d’un même pays. En Ukraine, cela est plus complexe : la partie Ouest de l’Ukraine est constituée d’une population lituano-polonaise, la partie Est, d’une population slave.
Pour le conférencier, le rôle d’un militaire est de gagner la guerre, le rôle d’un politique est de gagner la paix. La guerre en Ukraine révèle cette dualité.
La paix est une exception : Elle a duré 75 ans en France depuis 1945 (fin de la seconde guerre mondiale)
Les effectifs en France en 1991 pendant la guerre froide étaient de 1 400 chars contre 220 aujourd’hui.
L’armée russe a perdu, à titre comparatif, 1 000 chars en 4 mois de guerre.
L’armée doit sa valeur à sa force d’âme : l’armée ukrainienne a démontré sa volonté farouche de défendre son sol. Le président de l’Ukraine, Volodymyr Zelensky, a su raviver l’Unité nationale (il y a eu 100 à 500 morts par jour dans son armée ukrainienne contre 1 000 morts par jour lors de la 1é guerre mondiale et 100 morts par jour lors de la 2è guerre mondiale)
Ces évènements ont renforcé les liens internationaux et ont contribué à élargir l’OTAN avec l’entrée de la Finlande et de la Suède dans une vision commune.
L’Ukraine était, en fait, dans une paix relative. Ce pays vivait à l’occidental même si la guerre existait depuis huit ans
L’OTAN, quant à elle, se renforce par cette guerre. Malgré le fait que la guerre n’intéresse que les Occidentaux, elle aura des conséquences géopolitiques importantes car le thème actuel est le blé mais les pays d’Europe se sont désarmés sur le plan militaire, moral et agricole.
La France était un pays autosuffisant mais il ne l’est plus aujourd’hui car il importe plus de 20% des produits de base. Alors que, depuis 2014, la Russie a développé sa souveraineté à travers l’énergie, l’alimentation et l’armement.
La Russie a créé un conflit d’un nouvel ordre géopolitique grâce à la force du blé exporté. Cela risque de déstabiliser l’ordre national actuel. L’Europe se pensait, en effet, en paix, en sécurité et Vladimir Poutine, en attaquant, pensait que l’Europe n’interviendrait pas militairement.
La guerre ne se gagne pas que par son armement mais par la force et ses hommes.
Le succès des armées est sa capacité à se renouveler (remplacer les soldats blessés, morts de guerre) : 14 millions d’habitants en Ukraine contre 140 millions d’habitants en Russie.
La Russie n’a pas mobilisé ses soldats mais a allongé la mobilisation de ses soldats en service (de 40 à 49 ans)
Pour l’instant l’OTAN n’a pas procédé à une contre-offensive. Les Américains ne donnent pas de soldats mais donnent plus d’armes pour que L’Ukraine tienne plus longtemps face à la Russie.
Les européens donnent environ 40 000 obus d’artillerie supplémentaires. La France soutient les Ukrainiens en donnant des obus (20% de son artillerie) sans remplacement (fabrication ou achat).
Le risque est le manque de munitions en 2023 et la guerre peut être longue.
Pour Christophe Gomart, il est intéressant de voir la manière dont les pays européens regardent la guerre. L’opinion publique voyait Vladimir Poutine malade, proche de la mort.
La manière de communiquer sur les réseaux sociaux a un fort impact auprès de l’opinion. Celle-ci est très différente pour les soviétiques ou pour Volodymyr Zelensky qui communique de manière moderne, en situation de guerre.
Dans les guerres, il y a trois victimes : les victimes civiles, les victimes du plan du stratège (le stratège russe qui évoque une victoire facile) et les victimes de la vérité (propagande cachant la vérité).
La Russie n’évoque pas une guerre mais une opération générale militaire, la mobilisation générale n’est donc, pour la Russie, officiellement pas évoquée.
Il y a en fait une désinformation, une propagande en fonction de l’objectif souhaité et l’internet facilite cette communication.
L’actuel commandant des armées françaises, le général Thierry Burkhard en a pleinement conscience.
Il évoque : « gagner la guerre avant la guerre » c’est à dire se renseigner et être capable d’intervenir (être équipé en stocks suffisants de munitions, rations, carburants).
Pour le général, la Russie savait que l’Europe n’était pas suffisamment forte pour intervenir.
Vladimir Poutine avait envisagé les sanctions notamment économiques par l’Europe depuis 2014.
De plus, l’arme nucléaire est importante car elle a un effet de dissuasion : si les deux pays la possèdent, son usage serait catastrophique pour les deux.
Dans cette guerre, le rôle du renseignement est important.
Les Ukrainiens étaient bien renseignés par les Américains et les Français (avec le général Pierre de Villiers) et ce, dès 2014, quand 40 000 russes étaient à la frontière ukrainienne.
Le 24 février 2022, quand la Russie envahit l’Ukraine, les renseignements américains et français avaient la même vision.
Le renseignement est une discipline qui part d’une information pour en analyser et recouper les sources (satellites, partenaires).
Le général Christophe Gomart précise que la France dispose d’un renseignement assez précis mais les américains ont annoncé plusieurs fois l’attaque afin d’être les premiers donc meilleurs que les Français.
La France dispose de six services de renseignement (DGSE, DGSI, DRM, DRSD, DRDDI, TRACFIN) encadrés par un coordinateur national dès 2008. En 2017, le nouveau service du renseignement pénitentiaire est créé car beaucoup d’informations passent par ce biais.
Un service de renseignement doit avoir trois capacités : la recherche, l’exploitation, la diffusion grâce, notamment, aux sources humaines, à l’imagerie d’avions. Christophe Gomart donne l’exemple du 13è régiment de parachutistes dont il fut le chef de corps de 2003 à 2005.
Ces forces spéciales sont un atout majeur pour le chef d’État-major des Armées et le président de la République ; elles sont une avancée pour le renseignement.
Pour Christophe Gomart, la France dispose d’une belle armée avec des soldats aguerris, expérimentés mais elle doit être plus ambitieuse et dotée d’équipements modernes (drones, hélicoptères légers…)
Elle ne dispose, en effet, d’aucune arme antisatellite. Or la guerre, dans l’avenir, se passera dans l’espace.
À l’issue de l’intervention de Christophe Gomart, Frédéric Jallat reprend la parole en posant plusieurs questions dont celles évoquées ci -dessous.
Au regard de l’amitié France/États-Unis, comment interpréter la crise des sous-marins ?
Les Américains sont les principaux compétiteurs économiques. Concernant le contrat de la France avec l’Australie, les Français fournissaient la coque. Cependant en Australie il y a deux tendances : la volonté d’élargir les relations avec les autres pays (même position que la France), de trouver des alliés face à la Chine qui monte en puissance. L’autre tendance des Australiens est de prôner un protectionnisme fort avec les Américains.
Dans un conflit de haute intensité, quelle est la place des Forces spéciales ?
Les Forces spéciales ont toujours un rôle, celui de surprendre l’adversaire et de jouer sur l’effet de surprise pour gagner. C’est pourquoi elles sont discrètes.
Question sur la guerre, une lutte informatique menée par les Ukrainiens ?
La cyberguerre existe autant du côté de la Russie que de l’Ukraine, cela donne des possibilités d’influence. C’est la première guerre où autant d’images, vidéos sont diffusées sur les réseaux sociaux. La problématique est que l’opinion publique ne regarde que ce que veut nous montrer les protagonistes. Il faut faire appel à son esprit critique, d’analyse, en utilisant plusieurs canaux d’informations pour avoir l’information la plus fiable.
Carine Bentolila