Conférence de Jean-David Zeitoun
sur « La grande extension : histoire de la santé humaine »
le Mardi 11 janvier 2022 à 19h en vidéo-conférence
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Jean-David Zeitoun, 42 ans, est docteur en médecine (hépato-gastroentérologie), diplômé de Sciences Po et docteur en épidémiologie clinique. Il a été interne et chef de clinique à l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris.
Ses travaux de recherche concernent la régulation des médicaments, les risques associés aux traitements, la R&D pharmaceutique, l’économie de la santé, la qualité des soins et la santé populationnelle. Il est l’auteur de plus de 120 articles scientifiques dont la moitié dans des revues internationales. Il est également relecteur pour plusieurs revues à fort impact dont le BMJ et le JAMA Internal Medicine. Il a enseigné à Sciences Po Paris et à l’École des hautes études en santé publique.
Il est directeur de recherche à l’ESCP Business School et également, co-fondateur d’Inato, une jeune entreprise spécialisée dans les études cliniques et le recrutement de patients.
Il écrit régulièrement pour des médias de référence comme Le Monde ou Les Échos.
Il est l’auteur de «La Grande Extension», histoire de la santé humaine, paru en 2021 aux éditions Denoël et nous propose, dans cette conférence, un aperçu des résultats qu’il a établis.
I – Histoire de l’espérance de vie
L’histoire de la santé humaine s’analyse à partir de l’étude de l’espérance de vie au cours des siècles. Jean-David Zeitoun distingue trois périodes :
• 1è période : de la révolution néolithique (12.000 ans) à la moitié du dix-huitième siècle de notre ère, période de stagnation ou de baisse d’espérance de vie par rapport à la période antérieure de l’homme chasseur-cueilleur.
• 2e période : du milieu du dix-huitième à la seconde guerre mondiale, caractérisée par des progrès de santé publique.
• 3e période : de la deuxième guerre mondiale à 2010.
Pendant la première période, la mortalité infantile est très élevée. L’espérance de vie de 25 ans ne reflète pas les parcours individuels où certains atteignent l’âge de 60 ans. La cause des décès est comportementale (violence) et environnementale (microbes, médecine sans impact sur la santé).
Au cours de la deuxième période, l’espérance de vie augmente grâce au développement de la santé publique et à l’application des traitements antibiotiques, qui bénéficie aux enfants et élimine, de ce fait, la mortalité infantile.
Désinfections, eau potable, évacuation des déchets des villes, assainissement, régulation de l’alimentation ainsi que le premier vaccin contre la variole (Jenner-1796). La révolution industrielle en Grande-Bretagne a eu un impact positif malgré des transitions chaotiques.
Aux États-Unis et en France, cet impact chaotique le fut à moindre échelle, grâce à une meilleure nutrition.
En Grande-Bretagne, le mouvement sanitaire s’est développé grâce à un politicien, Shadwik, qui fit passer et appliquer la loi sur la pauvreté. (1830 à 1850), qui entraîna une diminution de la mortalité microbienne (premier pays au monde où le choléra disparaît).
Par la théorie des germes, qui remplace celle des miasmes, on a réalisé que notre environnement baigne dans un milieu de microbes bénéfiques ou non, et ce, grâce aux travaux de Pasteur, Koch et Pfize, Simmenveis et John Snow.
Cette théorie laisse la place aux maladies chroniques, cancers, maladies cardio-vasculaires.
Les progrès de longévité sont sous-tendus par le niveau de revenus, et, également par les vaccins et les antibiotiques.
Une croyance était établie que l’espérance de vie ne pouvait dépasser 65 ans. Mais en 1974, une campagne de prévention du tabagisme ainsi que des techniques de pontages cardiovasculaires favorisent le recul de la mortalité. Par contre, les cancers «hétérogènes», c’est-à-dire affectant plusieurs organes, parce que les traitements sont plus difficiles à cerner, n’aident pas à la baisse de la mortalité. Mais, dans le cas de cancers «homogène», tel que le cancer hématologique, les progrès pharmaceutiques sont à l’avant-garde.
II – Progrès et conséquences sociales
Ce sont bien les progrès en cardiologie et en cancérologie qui permettent une progression de l’espérance de vie de 65 à 78-88 ans.
En Occident, un quart des médicaments sur le marché concernent le soin des cancéreux. C’est le créneau convoité par tous les laboratoires pharmaceutiques.
170 milliards de dollars de médicaments oncologiques par an sont dépensés, sur un total de 1100 milliards de dollars.
Malgré ces progrès, trois problèmes apparaissent :
• Le coût de la santé, au sein de l’OCDE, représente 6 à 7% du PIB… 17% pour les États-Unis.
• L’hétérogénéité des coûts.
• Les inégalités sociales qui ont remplacé les inégalités naturelles. Une corrélation établie aux États-Unis montre que les personnes les plus riches sont celles qui vivent le plus longtemps.
80% de la population mourra de maladies chroniques du fait de quatre facteurs :
• Une sous-utilisation du corps.
• Une consommation de tabac, d’alcool.
• Une mauvaise alimentation.
En perspective, 500 millions de diabétiques et une progression des maladies respiratoires sont à prévoir.
Le paysage mondial fait état de trois types de maladies : les maladies du fait de violences telles que guerres, féminicides, rixes, sont restées stables, les maladies microbiennes sont en nette baisse, et les maladies chroniques, en croissance élevée.
Les pays aux revenus plus élevés ont le moyen de lutter contre le fardeau environnemental.
L’espérance de vie est en déclin depuis les années 2010 dans le monde et notamment dans les pays anglo-saxons, dont les États-Unis, et ce, donc, bien avant l’apparition du Covid.
La question qui se pose est de savoir si cette baisse se maintiendra ou non, et de déterminer si nous sommes dans une quatrième phase d’évolution ou de diminution de l’espérance de vie.
III – Questions
Les questions abordées ont apporté des compléments d’information et des remarques intéressants. On estime une espérance de vie en bonne santé si le dysfonctionnement se limite à une hypertension contrôlée. La hausse des coûts de la médecine, du fait de sa technicité, et la réduction des budgets, ne peut restreindre l’accès aux progrès de la médecine.
Les «Pharma», grands laboratoires pharmaceutiques, se portent bien. La Santé publique est le seul domaine où l’investissement s’avère rentable voire très rentable.
Aucun candidat politique ne propose de programmes de santé publique car il faut réprimer le tabac, l’alcool, la mauvaise alimentation ou la pollution.
On ne parle pas des mesures qui seraient efficaces sur le plan sanitaire et allègeraient les dépenses consacrées aux technologies médicales nécessaires mais une telle de décision demande des efforts politiques.
Les populations sont prêtes ; elles réclament du changement. Mais les politiques pensent que ce n’est pas le moment ; alors ils s’esquivent.
Certains pays ont mis en place des mesures et cela a permis de faire des économies de santé : exemple, la Nouvelle-Zélande par la lutte contre le tabac.
Concernant la prospective d’espérance de vie ou longévité, terme identique pour les démographes, ces derniers ne croient pas en un scénario d’accélération dans lequel on aurait une amélioration qui montrerait que l’espérance de vie continuerait à progresser car il y a énormément de pathologies chez les personnes âgées – par exemple, le cancer, notamment celui du pancréas, dont la fréquence augmente et pour lequel les progrès thérapeutiques sont quasi nuls.
La crise des opioïdes aux États-Unis a résulté de la pression de certains laboratoires qui seront gravement punis car le pays se retrouve à déplorer 50 à 70.000 morts par an d’overdose aux opiacés.
L’espérance de vie et le niveau de vie qui se détériorent aux États-Unis affectent plus particulièrement les blancs américains, non diplômés et aux conditions sociales difficiles. Cette situation ne tient pas à leur état économique mais plutôt à leur perte de perspective, comme Thomas Piketty l’a montré il y a dix ans : le rêve américain n’existe plus, ils (ces américains blancs de condition modeste) n’ont plus l’espoir de devenir milliardaires.
Olga Schalapa