Conférence de Jérémy Ghez
« L’Amérique après Trump »
le mardi 8 décembre 2020 à 19h, en vidéoconférence
Voir la vidéoconférence ICI
« Le 7 novembre au soir, l’annonce de l’élection de Joe Biden a été accueillie avec soulagement dans les chancelleries européennes, le plus dur reste à faire » tels sont les propos introductifs que Jérémy Ghez s’est proposé d’expliquer et pourquoi il ne fallait pas espérer de miracles.
Un état des lieux du scrutin nuancé
Avec 306 grands électeurs en sa faveur et le basculement des trois États que sont le Wisconsin, le Michigan et la Pennsylvanie, Joe Biden a incontestablement gagné cette élection.
Cependant le « trumpisme » n’est pas répudié. 74 millions d’Américains ont voté pour Donald Trump : ce score est supérieur à celui qu’il a obtenu en 2016 et à celui d’Obama en 2012. Donald Trump sait parler à une Amérique entrepreneuriale, à la population qui se sent oubliée ou menacée par la mondialisation, à ceux qui ont peur du socialisme. Véritable « bête politique », difficile à abattre, il continuera à jouer un rôle politique et, en tout cas, le parti républicain le souhaite.
Par ailleurs, les minorités dont la part croissante dans la population aurait pu favoriser les démocrates, se sont montrées plus conservatrices qu’on ne l’attendait.
Enfin, Joe Biden a été élu par défaut, aux primaires contre Bernie Sanders et aux présidentielles pour écarter Donald Trump.
Biden devra avoir l’énergie politique pour relever 3 défis à très court terme
1/ Endiguer la crise sanitaire : l’Amérique vit actuellement une 2nde, voire 3ème vague, extrêmement violente. Pour le moment, la population est anesthésiée, mais le réveil risque d’être difficile. Selon les projections de l’université Hopkins, la barre des 500 000 décès serait atteinte en avril 2021, soit le score le plus haut de l’Histoire américaine.
2/ Relancer l’économie : sur les 20 millions de pertes d’emploi entre avril et juin, seuls 10 millions sont regagnés aujourd’hui. Il est crucial que l’économie et l’emploi redémarrent car il n’y pas de filet social. On redoute le modèle inquiétant d’une reprise en « K » avec une partie de l’économie qui rebondit (secteurs de l’innovation, commerce en ligne…) tandis qu’une autre partie continue sa descente aux enfers (tourisme, bar, restaurants…).
3/ Réconcilier le pays : les sondages montrent que la population a une vision très différenciée de l’histoire récente de son pays. En-deçà des deux grands partis, se cachent des clivages qui vont des Nationalistes jusqu’aux Verts, en passant par les Conservateurs, le Centre et la Gauche. Quelle coalition Joe Biden sera-t-il capable de former ? Pourra-t-il résister à la pression de l’aile gauche de son parti ?
De ce point de vue, l’ancienne sénatrice Kamala Harris pourrait représenter une véritable opportunité pour le camp démocrate, dans les relations avec le Sénat et aussi dans les relations avec les minorités. Il faudra voir si elle est capable de réinventer le logiciel démocrate.
L’Amérique et le monde
Dans un tel contexte national, la conduite du volet international sera bien compliquée pour Joe Biden qui est bien conscient du sentiment dominant antimondialisation dans les trois États auxquels il doit sa victoire.
Dans la relation avec la Chine, alors que Donald Trump avait usé de l’arme économique, Joe Biden se battra sur le terrain technologique, militaire, diplomatique, idéologique, mais il ne changera pas d’objectifs.
Le découplage de la mondialisation théorisé par certains stratèges a commencé . Des interférences du « politique » dans les sujets économiques ne sont pas à exclure (Cf. relocalisation d’Intel au Texas).
Dans le domaine de l’environnement, les États-Unis vont, certes, être, de nouveau, partie prenante dans les « Accords de Paris » mais, les émissions carbone vont inexorablement continuer d’augmenter. La seule solution efficace d’une politique de prix des émissions et de marché des droits à polluer n’est pas gagnée au Sénat. Le résultat des élections partielles en Géorgie, début janvier, comptera pour faire basculer ou pas la majorité sénatoriale, mais les démocrates ne soutiennent pas tous, non plus, ces politiques.
Concernant l’Iran, dans le contexte des accords entre Israël, les Émirats Arabes Unis et Bahreïn, Joe Biden ne prendra pas le risque de tenter de revenir dans l’Accord car il se heurterait à un refus de l’Iran.
Joe Biden est européen de cœur, mais il est déjà très mobilisé par les affaires domestiques et les enjeux dans le Pacifique. Il risque de ne pas beaucoup s’investir dans une Europe à 27 qui apparaît toujours très compliquée aux yeux des Américains. Et pourtant, nous avons des dossiers à partager : l’environnement, l’OTAN, la Turquie, etc. Selon Jérémy Ghez, les Européens devraient prendre un rôle plus « saignant », prendre l’initiative pour lui montrer le chemin. Il est temps pour nous de se poser la question de l’avenir de la relation transatlantique, de faire preuve d’imagination.
Élisabeth Massonnet
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Le soulagement que semblent exprimer de nombreuses chancelleries européennes à la suite de l’élection de Joe Biden ne doit pas nous faire oublier les nombreux défis qui se posent à cette nouvelle administration américaine et à la relation transatlantique. Cette élection n’a pas été une répudiation du Trumpisme qu’espéraient les opposants du président sortant — notamment compte tenu du nombre d’électeurs américains qui considèrent toujours que le bilan économique de Donald Trump est positif. Joe Biden devient ainsi le président d’un pays profondément divisé. Son premier but sera de réconcilier l’Amérique avec elle-même. Ses priorités internationales resteront concentrées sur des dossiers précis, Chine en tête. L’Europe ne pourra plus forcément compter sur le leadership américain et pourrait devoir devenir le partenaire senior de la relation transatlantique. Quelles perspectives pour la présidence Biden? Quelles conséquences pour le reste du monde? Nous tenterons de répondre à ces questions dans cet échange.
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Jérémy Ghez est Professeur d’Économie et d’Affaires internationales à HEC. Il est le directeur scientifique du Master Sustainable and Social Innovation (SASI). Il est également le directeur académique du Centre de Géopolitique de l’École. Il est l’ancien rédacteur en chef du trimestriel La Nouvelle Revue Géopolitique.
Son expertise porte sur les États-Unis, sur l’analyse prospective et géopolitique, sur les géants de l’Internet et sur le populisme. Il est l’auteur de l’essai : « États-Unis : Déclin improbable, rebond impossible » chez VA Presse. Ses travaux ont été publiés dans des monographies de la RAND Corporation et dans la revue Survival.
A HEC, Jeremy enseigne l’économie et la géopolitique au MBA, à l’EMBA et à la Grande École.
Il a obtenu son doctorat de la Pardee RAND Graduate School et son Master de HEC et de l’École d’Économie de Paris.