La Cyberdéfense et les enjeux de la sécurité
Les 26 et 28 mars 2019, le Trinôme de Créteil a convié une trentaine de professeurs d’histoire-géographie à participer à deux journées dont le thème était la cyberdéfense et les enjeux de la sécurité. Inscrites au Plan Académique de Formation, ces deux journées se sont déroulées pour la première à l’Etablissement de Communication et de Production Audiovisuelle de la Défense (ECPAD) au Fort d’Ivry-sur-Seine et pour la seconde à l’Ecole des Officiers de la Gendarmerie Nationale (EOGN) ainsi qu’au Musée National de la Gendarmerie, tous deux situés à Melun.
- Première journée : ECPAD Fort d’Ivry.
Après un mot d’accueil chaleureux de Christophe Jacquot, Directeur de l’ECPAD, qui se présente comme un serviteur de l’esprit de Défense et du lien Armée-Nation, la journée est ouverte par Florence Smits, inspectrice générale de l’Education nationale en histoire-géographie, qui propose différentes définitions du cyberespace pour finalement dire que c’est un ensemble complexe de réseaux articulés à des acteurs obéissant à des règles multiples, aux enjeux les plus variés, fragile notamment de par les lieux d’atterrissement des câbles sous-marins et qui fait partie du quotidien à tous niveaux en tant qu’espace de liberté mais aussi de citoyenneté ou de criminalité.
Le Général d’Armée de Gendarmerie Marc Watin-Augouard propose une approche de la cyberdéfense en précisant que le monde est en pleine métamorphose du fait de cette nouvelle dimension dont il trace un rapide historique débouchant sur le contemporain quand les données explosent et deviennent un enjeu stratégique qu’il est nécessaire de protéger. Les problèmes de sécurité sont donc là avec des enjeux de gouvernance de l’internet, de souveraineté du droit, d’impact planétaire, de délits (cybercriminalité), de conflits avec les exemples de l’Estonie en 2007, de la Géorgie en 2008, de l’ARAMCO en 2012. Il affirme que le feu d’artifice permanent des attaques qui aboutissent ou n’aboutissent pas va de ce fait imposer une révision du monde cyber afin, selon le mot d’Antonio Gramsci, d’ «Allier le pessimisme de la raison à l’optimisme de la volonté ».
Nicolas Grzeczkowicz, consultant et réserviste opérationnel spécialiste de cyberdéfense, apporte un autre éclairage en effectuant un large tour d’horizon sur l’évolution de la cyberdéfense ces dix dernières années, évolution marquée par exemple par la présence de cyber combattants lors du défilé du 14 juillet 2018, sur la représentation du cyberespace avec ses trois couches (sémantique, logique et physique), sur les six missions de la cyberdéfense (prévention, protection, anticipation, détection, réaction, attribution) avec la création en 2017 du commandement de la cyberdéfense (COMCYBER) placé sous l’autorité du CEMA, sur la préparation de l’avenir et la cohérence du domaine avec entre autres points, une anticipation des ruptures technologiques et d’usage.
Nicolas Grzeczkowicz poursuit son propos en présentant la formation BTS « cyberdéfense » au lycée militaire de Saint-Cyr-l’Ecole. De création récente (septembre 2017), cette filière bénéficie de moyens adaptés en termes de locaux, d’enseignants (issus de l’EN et de l’industrie), de scolarité avec vie en internat militaire et d’emploi garanti avec un passage obligatoire de cinq ans dans la fonction publique d’état. Les objectifs des cours dispensés sont l’acquisition d’une formation professionnelle spécialisée se basant sur un référentiel existant (celui de l’ancien BTS IRIS) auxquels des éléments spécifiques ont été joints tels l’apprentissage d’une langue rare (arabe ou russe), une PMS et un stage en unité militaire. A l’issue de l’examen, la moitié de la promotion devra choisir la voie militaire en intégrant l’ENSOA puis l’école des Transmissions, l’autre moitié la voie civile et les services de renseignements extérieurs au sein du Ministère des Armées. A terme, cette formation devrait se développer car elle allie savoir-être, connaissances techniques et acculturation du milieu de la Défense.
Thierry Rose, adjoint au chef du département informatique de l’ECPAD prend la parole pour un exposé sur la cybersécurité au sein de cet établissement. En introduction à son propos, Thierry Rose rappelle le contexte de l’ECPAD dont les missions s’inscrivent dans la production audiovisuelle, la formation, l’archivage et des opérations culturelles. Le tout sur deux sites, le Fort d’Ivry et une antenne à Balard, avec des liaisons constantes avec les équipes en OPEX, deux réseaux (internet et intranet) et de multiples partenaires dont les chaînes de télévisions nationales. Ces réalités induisent un niveau de sécurité élevé face aux menaces (ransomwares principalement) et autres attaques de type cyber allant de la criminalité au terrorisme en passant par l’espionnage et la guerre. Cet ensemble nocif oblige à une sécurité renforcée en matière de défense, de protection et de résilience. Tout ceci va naturellement de pair avec des règles de sécurité à respecter telles que l’utilisation de mots de passe robustes et secrets, d’un coffre-fort homologique pour les stocker, l’évitement de sites non référencés, le cryptage des données ou des messages transmis. En conclusion, l’alerte constante est de mise, ne serait-ce que pour éviter un toujours possible cheval de Troie.
Le docteur Nicolas Mazzucchi de la Fondation pour la recherche stratégique et chargé de cours à Sciences Po Lille lui succède afin de communiquer sur les liens qui existent entre cyberdéfense et géopolitique. Commençant son intervention en fournissant plusieurs définitions du cyberespace, Nicolas Mazzucchi met en avant l’architecture matérielle de cet espace avec l’interconnexion des câbles sous-marins, des principaux serveurs et des serveurs racine où les USA dominent. Tentant de structurer un cyberconflit, il décrit des approches par attaques (sabotage, espionnage, subversion), des approches par couches (matérielle, logique, sémantique) constituant une question complexe au sein de laquelle la vulnérabilité des sites et des systèmes est constante d’autant que le cyberespace est un lieu où la liberté de manœuvre est totale car dopée par la baisse des coûts des capacités de calcul (performances accrues des microprocesseurs) et la disponibilité en masse de données mondiales extrêmement variées et pour beaucoup stockées (principe du cloud) aux USA. Effectuant un état des lieux mondial, Nicolas Mazzucchi s’intéresse à différents pays dont la Chine qui, bien que venue tardivement à la cybernétique, contrôle son domaine matériel et aspire à devenir leader dans l’intelligence artificielle. La Russie, quant à elle, a créé un espace communicationnel (RUNET) autour de la langue et de la culture russes qui inonde les pays ex-satellites de l’URSS mais aussi l’Allemagne, les Pays-Bas et les Etats Unis. L’Inde est un nouvel acteur, plutôt méconnu et qui se dissimule. Le Japon, enfin, vit en circuit fermé ; pays en déclin, il ne constitue plus une cible intéressante aujourd’hui.
La journée s’achève sur quelques mots de remerciements à l’intention de l’ECPAD et une conclusion d’Olivier Delmas, IPR d’histoire-géographie et membre du Trinôme, conclusion dans laquelle il met en avant le volet civique avec la question de la dignité humaine, la dimension géographique omniprésente et l’histoire des techniques qui constituent autant d’entrées privilégiées pour amener les élèves à réfléchir à des problématiques intellectuellement complexes au sein desquelles se situe l’incontournable dimension juridique.
- Deuxième journée : EOGN et Musée de la Gendarmerie Nationale– Melun.
Le groupe est accueilli à l EOGN par son commandant adjoint, le Colonel de gendarmerie Sylvain Duret qui, d’emblée, relève le caractère initial de ce stage et s’en félicite. Effectuant un rapide historique, le Colonel Duret rappelle que la Gendarmerie a été la première armée constituée destinée à encadrer des troupes de mercenaires quelque peu difficiles. Force taillée pour la crise, la gendarmerie s’est peu à peu territorialisée et se targue depuis 1945 d’une école nationale ancrée à Melun pour la formation de ses officiers, école qui a le Musée de la Gendarmerie Nationale pour voisin.
Le Commandant de gendarmerie Benoit Haberbusch, chef du pôle histoire au Centre de Recherches et d’Etudes de la Gendarmerie Nationale (CREOGEN), brosse un historique de l’école dont la création, récente, remonte à 1901 à Paris (caserne Schoenberg). De Versailles en 1918 à Pau en 1941 puis à Courbevoie en 1943, l’EOGN se fixe définitivement à Melun en 1945. Liée aujourd’hui au campus de l’université de Paris-Assas et à HEC, entre autres grandes écoles, elle est une des composantes du dispositif de formation de la gendarmerie avec des missions variées qui touchent à l’essence militaire, au fondement légal et à l’engagement sécuritaire. Répondant à des formes diverses de recrutement, l’EOGN propose un cursus de deux ans avec des formations qui se chevauchent, une dimension internationale et une formation continue diplômante ou préparant à l’exercice de commandements opérationnels. Le tout intégrant des traditions (cérémonies) fortes en symboles.
La Capitaine de gendarmerie Léa Chambonnière présente la CPI (classe préparatoire intégrée) qui prépare au concours d’entrée à l’EOGN. Cette préparation, située à Paris au sein de la caserne Babylone, fait partie du dispositif égalité des chances. Elle recrute des élèves âgés de moins de 27 ans et titulaires d’un master 2. La formation académique est assurée à Paris 2 Panthéon-Assas, chaque élève ayant un tuteur lui-même stagiaire officier supérieur à l’Ecole de guerre. D’une très grande qualité, la formation est ponctuée de visites d’unités militaires, de sorties culturelles et de voyages scolaires destinés à assurer une grande cohésion et un esprit de promotion.
La visite du musée est assurée par le Commandant Haberbusch. Le lien suivant permet de se faire une excellente idée de la richesse du lieu et des nombreuses collections qu’il abrite. https://www.gendarmerie.interieur.gouv.fr/musee/Le-musee
Marie-France Montel, responsable des projets pédagogiques à l’ECPAD, intervient ensuite pour un exposé sur les pistes pédagogiques qu’offrent les OPEX à travers les fonds détenus par l’ECPAD. En propos liminaires, Marie-France Montel précise que les OPEX constituent une thématique complexe du fait de la variété des missions qui les caractérisent : évacuation sanitaire ou de ressortissants, intervention humanitaire, etc. mais aussi du fait de la possible classification des images ou même plus simplement de leur surabondance. Les sources disponibles sont principalement au nombre de trois : l’ECPAD (entrée Archives ou Créateurs d’images), celui du photoreporter de guerre Arnaud Roiné et enfin celui du Ministère des Armées qui présente un grand nombre de dossiers de presse, de vidéos, de photographies avec notamment celles qui montrent les différents métiers de la Défense. Les pistes pédagogiques peuvent s’articuler autour de deux directions : effectuer une approche chrono-thématique qui pourra amener les élèves à se poser des questions par exemple sur l’absence ou la surabondance de leur médiatisation, sur les enjeux français actuels à travers la crise politique de 2017, sur le changement d’appellation du ministère de tutelle (passée du MINDEF au MINARM), ou se livrer à une étude de la communication audiovisuelle de l’Armée (aspect esthétique des images, comparaison entre le soldat d’hier et celui d’aujourd’hui), voire même rencontrer un reporter de guerre.
A l’occasion de la visite de l’EOGN, est également offerte au groupe la possibilité de visiter la Délégation militaire départementale située juste à l’entrée de cet organisme prestigieux, et de rencontrer le Lieutenant-colonel Jean-Louis Garban, délégué militaire départemental adjoint pour la Seine-et -Marne et membre du Trinôme, qui saisit l’occasion de définir ce qu’est un délégué militaire départemental (DMD) en précisant les missions qui sont les siennes : conseiller militaire du préfet, représentant de l’officier général en zone de défense et de sécurité, expert en défense du territoire, aide à la conduite de crise, acteur de la planification en défense opérationnelle du territoire, chargé de la coordination et de la concertation interarmées, renforcement du lien armées-nation (d’où sa mission au sein du Trinôme) et représentation de la défense lors des cérémonies patriotiques.
Puis, guidé par le Commandant Benoit Haberbusch, le groupe visite le CREOGEN (Centre de recherches de l’EOGN) qui a pour objet l’orientation et l’animation de la recherche dans les domaines correspondant aux besoins de la gendarmerie notamment dans ceux de la sécurité intérieure et de la défense. Le Centre de recherche s’appuie sur un fonds documentaire qu’il doit alimenter, gérer et tenir à jour. Par ailleurs, il accompagne les élèves-officiers de l’EOGN dans leurs études. Ce centre s’emploie également à établir un annuaire des compétences recensant les gendarmes de tous grades, d’active ou de réserve, ayant rédigé des travaux académiques sur des sujets touchant notamment à la sécurité.
Enfin, accompagné par l’Aspirant de Gendarmerie Issu du Volontariat Erwan Carret, le groupe peut visiter le CESCO, Centre d’entraînement et de simulation au commandement opérationnel. En effet, l’EOGN possède un espace de préparation opérationnelle pour concevoir et organiser des engagements d’unités qui intègre des systèmes technologiques innovants. Cet espace recrée les conditions de manœuvre d’unités opérationnelles. Les officiers en formation et les stagiaires bénéficient de mises en situations concrètes et réalistes leur permettant de s’entraîner à la conception de manœuvres et leur conduite sur le terrain.
Les participants à cette deuxième journée soulignent la richesse des interventions, la qualité des intervenants et l’intérêt des différentes visites. Des remerciements sont adressés à tous les intervenants, en particulier au Commandant Benoit Haberbusch dont les explications et commentaires ont totalement répondu aux questions posées en particulier lors de la visite du musée.
Michel GAUVIN
Délégué de l’Association Paris Ile-de-France
des Auditeurs de l’IHEDN auprès du Trinôme de Créteil.
Ingénieur en chef (H) du SEA