Conférence de Bernard Hourcade le jeudi 7 février à 19h sur le thème :
Iran : seule puissance régionale émergente au Moyen orient ?
La République islamique d’Iran a 40 ans. La durée et l’ampleur de cette «révolution», résumée à sa seule dimension cléricale islamique, ont été sous-estimées. La population (80 millions d’habitants) a expérimenté durement le pouvoir de l’islam clérical mais a poursuivi sa révolution dans tous les domaines, n’oubliant jamais, malgré les difficultés intérieures et l’hostilité internationale, les idéaux de la devise de la République islamique «Indépendance, liberté, république islamique», non encore réalisés.
En Iran, le clergé chiite encadre la vie publique et privée. Par son organisation pyramidale, proche de la population, radical et habile, il a su trouver les compromis nécessaires à sa politique (fin de la guerre Irak-Iran, accord sur le nucléaire de 2015), selon une méthode efficace pour survivre mais inadaptée à une société profondément changée, ouverte sur le 21ème siècle.
Les divisions s’accroissent au sein du clergé et de l’élite politique, usés par 40 ans de pouvoir, face à une nouvelle bourgeoisie moyenne bien formée, ambitieuse, ouverte à la mondialisation, où les femmes et les jeunes adultes forment un ensemble citadin dynamique, cas unique dans tout le Moyen-Orient où certains placent toujours l’islam au cœur des espoirs politiques. L’Iran est le seul pays de la région à pratiquer l’islam politique et à chercher à en sortir, dans une vie politique intérieure complexe ne se limitant pas à une opposition binaire entre «pour et contre les mollahs».
L’accord sur le nucléaire signé en 2015 a tourné la page de décennies de crise: l’Iran n’était plus une menace et pouvait intégrer l’économie, la politique et la culture mondiales. Cette perspective de devoir compter, à court terme, avec une puissance régionale moderne et pacifique a suscité l’opposition de l’Arabie, d’Israël et des États-Unis.
Le retrait américain de l’accord de 2015 est une catastrophe pour l’Iran, dont la reconstruction économique aurait entraîné une évolution des rapports de force intérieurs, politiques, culturels et sociaux, désormais impossible à court/moyen terme. Cela renforce le pouvoir des conservateurs prônant la résistance aux influences étrangères, attitude qui ne correspond plus aux demandes de la société iranienne actuelle, y compris et surtout de ceux qui restent attachés à l’islam comme religion et force morale.
Pays persan chiite dans un Moyen-Orient turc, arabe et sunnite, l’Iran se sent une île entourée de puissances hostiles. Conscient de ses limites et des capacités défensives de son armée, il utilise un archipel de minorités (Hezbollah, chrétiens arméniens, Hazara d’Afghanistan, Houthis du Yémen), pour affirmer sa présence et assurer sa défense
nationale, sans capacité ni volonté de conquête, mais avec la volonté d’être reconnue comme une puissance nécessaire à la stabilité régionale. Celle-ci passe par une coexistence pacifique entre les deux gendarmes du Golfe, l’Arabie et l’Iran, surtout face au défi international majeur qu’est devenu le terrorisme djihadiste.
Bernard Hourcade
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La république islamique d’Iran a 40 ans, mais à Washington on continue de prédire un changement de régime imminent. De fait, les Iraniens sont restés musulmans chiites mais ils sont devenus républicains. Les deux mots « république » et islamique » semblaient un oxymore, mais sans occulter le poids du clergé, les rapports de force ont fondamentalement changé à l’intérieur du pays en faveur de la « république ». Une nouvelle bourgeoisie moyenne issue de l’expérience douloureuse de la République islamique est désormais en place, bien formée, ambitieuse, ouverte à la mondialisation. C’est un cas unique dans tout le Moyen orient où certains en sont encore à placer l’islam au cœur de la politique.
La signature de l’Accord sur le nucléaire en 2015 (JCPOA) tournait la page de décennies de crise : l’Iran n’était plus à terme, une menace militaire/militaire, et pouvait intégrer l’économie et la culture mondiale. C’est précisément cette perspective de devoir compter à court terme avec un Iran puissance régionale moderne et pacifique qui a suscité l’opposition de l’Arabie d’Israël et des États Unis de D. Trump. Deux puissances régionales émergentes et que tout oppose, de part et d’autre du golfe Persique.
Le talon d’Achille de l’Iran est son manque de contrôle politique et militaire dans la région. C’est le seul pays de la région à combattre les terroristes de Daesh et d’al Qaida, mais sa présence militaire, unique dans l’histoire de ce pays ultra nationaliste, bouleverse les pouvoirs en place.
La dénonciation par les États Unis de l’Accord de 2015 remet en cause cette émergence de l’Iran comme puissance qui serait à terme, stable, pacifique et moderne. La déception est profonde en Iran où tout espoir de changement positif est remis en cause. La prolifération nucléaire sera peut-être relancée. L’Europe ne peut pas abandonner le marché américain pour un marché iranien encore embryonnaire. Le modèle saoudien qui a notamment produit la djihadisme va-t-il l’emporter sur le modèle «républicain » iranien ?
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Bernard HOURCADE est géographe, directeur de recherche émérite au CNRS. Ancien directeur de l’Institut Français de Recherche en Iran pendant la révolution islamique (1978 – 1993), puis fondateur et directeur de l’équipe de recherche CNRS « Monde iranien » (1993-2005), il a effectué, souvent en collaboration avec ses collègues iraniens, des recherches sur les conséquences politiques des transformations de la société iranienne, la ville de Téhéran et la géopolitique de l’Iran. En dehors de cercles universitaires, il intervient dans les médias et les think tanks sur les questions touchant à la géopolitique de l’Iran aux rapports entre politique, territoire et société en Iran. Bernard Hourcade est agrégé (1969) et docteur en géographie (Paris-Sorbonne, 1975).
Principales publications sur l’Iran
– Téhéran au-dessous du volcan, Paris, Autrement, 1987, 224p. (avec Yann Richard)
– Téhéran capitale bicentenaire. Louvain-Téhéran, Peeters/IFRI, 1992, 376 p.
– Atlas d’Iran. Paris Documentation Française, 1998
http://www.irancarto.cnrs.fr/volume.php?d=atlas_iran&l=fr
– Iran : Cultures et sociétés contemporaines. Peeters, Louvain, 2003. 322p. (ed.)
– L’Iran au XXe siècle. Paris, Fayard, 2007, 459p. (avec Jean-Pierre Digard et Yann Richard)
– L’Iran. Nouvelles identités d’une république. Paris, Belin, 2002, 223 p.
– Atlas of Tehran metropolis, Tehran TGIC, 2005 (with Dr Mohsen Habibi)
http://www.irancarto.cnrs.fr/volume.php?d=atlas_tehran&l=fr
– Tehran Alborz. Mashhad, Nashr Mohaqeq-Taraneh, 2009, 280p. (en persan)
– Géopolitique de l’Iran, Paris, A. Colin, 2010, 280p.
– Géopolitique de l’Iran, les défis d’une renaissance, Paris, A. Colin 2016, 335p.
– Irancarto : Site Internet de cartes et analyses géographiques sur l’Iran (www.irancarto.cnrs.fr )