Mars 2017, Implications stratégiques en Asie Pacifique de la montée en puissance de la Chine – Anne CULLERRE

Introduction par le Capitaine de frégate Jérôme CHARDON

La montée en puissance de la Chine s’inscrit dans une perspective historique: la parenthèse d’influence du pays au 19e siècle s’est refermée avec la prise de pouvoir, en 1949, de Mao ZEDONG et la consolidation intérieure du pouvoir communiste. La politique de réforme et d’ouverture de Deng XIAOPING, tournée vers la mer, a entraîné de nouvelles interactions avec les autres puissances, notamment navales. Ses succès économiques ont donné à la Chine plus de moyens pour peser dans l’évolution de l’ordre international, au mieux de ses intérêts.

Sur le plan intérieur, l’engagement d’assurer la prospérité individuelle en contrepartie de la confiscation de tout droit d’expression politique a imposé une obligation de croissance économique, dont dépend la pérennité du parti communiste.

La Chine est un compétiteur pour qui la peur, l’intérêt et l’honneur, constituent trois facteurs principaux des nouvelles équations stratégiques. La puissance chinoise restaurée, vise en priorité à répondre aux exigences économiques d’une population dont le ciment national provient de la «politique de revitalisation» et de la mémoire du «siècle d’humiliation» provoqué par les puissances occidentales et le Japon. Ses partenaires profitent de son dynamisme économique jusqu’à en devenir dépendants (certains pays d’Afrique) mais s’inquiètent de l’affirmation militaire de Pékin. Il est donc restrictif d’appréhender la question de la mer de Chine méridionale, à l’aune de l’intérêt des économies européennes à voir s’appliquer le respect de la liberté de circulation maritime.

Depuis la mise en place, en 1945, du système régissant l’ordre international, le monde a changé. Les modalités d’adaptation relèvent de différences de conception, pouvant conduire à des divergences stratégiques préoccupantes entre les grands acteurs sécuritaires. Cela a conduit le ministre de la défense, Jean-Yves LE DRIAN, à mettre en garde contre le risque de la normalisation de la politique du fort au faible, ou du fait accompli, en soulignant que «le respect de la norme de droit, la recherche du dialogue, la fermeté lorsque cette norme est violée, sont au cœur du multilatéralisme responsable qui doit caractériser, aux yeux de la France, l’action de l’Union européenne.» (Dialogue du Shangri La, Singapour, 5 juin 2016).

Capitaine de frégate Jérôme CHARDON

LA CHINE DANS LE PACIFIQUE: LES FERMENTS D’UNE CRISE MAJEURE par la Vice-amiral Anne CULLERRE

Revendications territoriales historiques en mer de Chine méridionale, attachement «inaliénable» à Taïwan, animosité historique avec le Japon, rôle ambigu envers la Corée du Nord, relation sans concession avec Russie: la Chine inquiète ses voisins du Pacifique, autant qu’elle est courtisée.
Ses ambitions s’expriment le plus clairement en mer de Chine méridionale pour y asseoir son hégémonie: recherche d’affranchissement des règles du droit international ; politique très agressive d’annexion d’îles revendiquées par les autres pays riverains, en se fondant sur des «droits  historiques incontestables», considérés supérieurs au droit international; remise en cause de la liberté de navigation, notamment des navires de guerre; militarisation progressive des territoires dont elle a pris possession.
Ce comportement n’est pas une «surprise stratégique»: ces revendications sont affirmées depuis des années, face à des acteurs nombreux (dont les États-Unis), aux intérêts souvent divergents. La zone est stratégique, économiquement (ressources halieutiques, hydrocarbures, transit international) et militairement («bastion» pour les sous-marins nucléaires chinois, capacité à menacer les États-Unis). Elle cristallise les craintes qu’un incident dégénère en conflit.
Cette crainte est nourrie par la modernisation, depuis 2013, et le renforcement de son appareil militaire, sa marine en particulier, pour soutenir l’ambitieux «rêve chinois» de grandeur retrouvée en devenant une vraie puissance
 maritime. La Chine s’est ainsi dotée d’une capacité «anti-accès» depuis la terre, permettant à sa marine de quitter son rôle traditionnel de «marine forteresse» pour être une marine expéditionnaire, grâce à un premier porte-avions, complété par la construction d’autres, et par l’existence de patrouilles de ses SNLE.
Face à cette situation, la militarisation des pays de la zone Pacifique devient avérée. De nombreuses questions demeurent, dont surtout la posture des USA. Rappelons aussi le rôle de la France dans le Pacifique, seul pays européen à y maintenir en permanence des forces militaires: ses patrouilles maritimes régulières en mer de Chine, démontrent l’attachement au respect du droit international de la mer.

Vice-amiral Anne CULLERRE